J'ai
cherché un récit, le mien, le notre, le sien, surtout le sien.
Silencieux, je l'ai imaginé. Si j'avais eu des ancêtres je leur
aurait moi même conté ce périple. Ils ne me voient plus, je me
suis abandonnée dans leurs idées, inventée. Mon grand-père,
l'homme dont je ne connais pas le nom, est un héros, je l'ai décidé.
On m'a dit que.. on m'a dit qu'il s'était battu, qu'il s'était fait
tué, qu'on l'aurait assasiné. J'ai du lire, on ne me l'a pas
raconté, c'est détour des yeux de mon père que j'ai saisi un fil
sur lequel je continue de tirer. Cameroun, Malande, Bafoussam,
Bassa.. Ce lexique est maintenant trop éloigné, les souvenirs je
les ai moi-même figé, m'assurant leur longévité. Il s'en ait
passé des choses, la terre a saigné, le coeur meurt toujours, mais
l'histoire on ne veut toujours pas me la raconter. Le malaise
persiste, on s'invente des personnages, mais me suis-je vraiment
raconté ma vie ? Le passé.. qu'est-ce que je peux faire de ce
passé. Je me rappelle du jour où j'ai commencé à me raconter ma
vie, mon histoire. C'est en retrouvant une photo de ma grand-mère,
la mère de mon père, la femme de mon grand-père, la mère de mes
oncles, la grand mère de mes cousins, la sorcière du village, ma
mère, la femme dont je porte le nom, je suis la mère de mon père,
elle est ma mère et je suis son père, Joséphine, Joseph, Josèfa.
On tenait un bébé entre nos mains, l'enfant de la photo c'était
moi, non, c'était ton frère, mais je pris la décision que ce
serait moi. Alors je me suis raconté cette histoire, oui, j'ai connu
ma grand-mère, oui je me suis connu, oui j'ai connu la mère de mon
père, on s'est connu. L'important était de raconter le jour ou elle
m'a prise dans ses bras, comme si le contact corporel avait été
transmetteur d'histoire, transmetteur généalogique, transmetteur
familial. Alors oui, elle m'a prise dans ses bras, m'a trasmise les
histoires de son pays, celui que je ne connais pas assez, le pays
silencieux. Le silence émane de moi, de mon père et de ses frères,
grimpons sur l'arbre tentaculaire, coupons lui des branches,
déracinons-le. J'ai mangé ses fruits imagniraires, j'ai mangé sa
force légendaire, j'ai mangé ma famille, j'ai mangé le silence.
Mon grand-père, le héros, quand je pense à lui j'imagine une
Eglise, quand je pense à lui j'imagine la résistance, alors je me
dis que lui et moi avons résisté, avons combattu, parce que j'étais
là moi aussi ! Nous étions tous là, un jour, le jour où les
colons nous ont tué. Triste histoire, et drôle d'histoire, d'un
père qui vit dans le silence, d'un père qui maintenant vit en
France. On allait rien faire exploser, même si tu nous l'avait
raconté, même si tu nous avait raconté notre mort à tous.