Patienle (corpus Plantes en révoltes)

Patienle dans les langues des temps d’aujourd’hui,
je fus l’objet de tant de nom,
de tant de tentative de dénomination.

Àchacun, je me suis dérobé.
C’est ainsi que j’existe.
Je m’accroche à un sol,
tout en me déplacant,
et je repousse tout ce qui tente de m’arrêter.

Je suis vivace.

Pourtant vivant dans un temps qui n’est pas le votre,
et qui peut être à vous,
vous a parus si lent.

Lente je suis.

Mais mes racines puisent des récits qui ne sont pas d’aujourd’hui,
sèment les graines d’une révolte silencieuse pour vos oreilles!
Et c’est ainsi que coule en moi cette sève qui acte

un désir végétal 
une parole tarie,
une source qui bât,
qui bourdonne,
qui bruisse,
qui dort.

Écoutez!

Mon désir palpite chaque fois que je m’essaime
Je me laisse porter par les vents, les trains, les cargos, les courants.
J’habite soudainement des plaines ou l’on ne m’a jamais vu,
et ou je rencontre toujours,

la même hésitation,
la même méfiance.

Celle qui vient avant le nom.
Le nom que l’on va me donner.

Le nom qui dira si l’on peut m’approcher.

Si l’on peut me toucher.
Si l’on peut me cueillir.
Si l’on peut me manger.

J’aimerais leurs dire que j’ai un nom.
Un nom qui dit tout cela à la fois.
Un nom qui pourrait sortir de leurs bouches,
parler à leurs ventre,
répondre à leurs maux.


S’ils voulaient l’entendre.
S’ils voulaient l’écouter.


Ce nom,

je le donne dans le sommeil,
Celui qui vient lorsque que l'on m’a consommé.
Lorsque l’on a but le jus de mes feuilles,
et l’eau dans laquelle mes racines ont bouillies.
Dans ce breuvage je m’exprime,

je chante,
je murmure;

le récit des siècles de batailles qui m’ont piétinées,
des mains de pierre et de fer,
qui du sol m'ont arraché,
pour bâtir des murs,
pour creuser des tranchés.
Plante des étendues, j’ai été au coeur de plus d’un affrontement.
Je me souviens de tous,

et j’aurai tant à raconter.
Si vos paupières sont lourdes,
laissez l’obscurité vous envelopper.

Calmez votre coeur.
Écoutez votre ventre.

Écoutez le sang battre dans vos tempes.

C’est par lui que je parle.
C’est par lui que je vente.




Mark